
S’il y a un mot qu’on n’aime pas employer dans certains milieux, c’est « la force ». Et cela ne surprend pas si l’on se tient un peu au courant de l’actualité via les médias ou la plupart des réseaux sociaux. Car on confond très souvent la force avec la violence. On la comprend à travers le sens du verbe « forcer ». On n’aime ni forcer quelqu’un à faire quelque chose (« lui forcer la main »), ni « se forcer » (« sourire forcé »). Ce n’est pas naturel, par exemple, voire pas honnête, de se forcer à paraître tel qu’on n’est pas. Il y a comme un parfum d’hypocrisie.
Et pourtant la force fascine. On se souvient de ce film de science-fiction à grand spectacle où les héros se saluaient en disant : « Que la Force soit avec toi ! » On parle aussi d’énergie positive et dans les romans influencés par le « Nouvel Âge », les gens sont portés et réconciliés avec eux-mêmes par une force enveloppante. Aujourd’hui surtout, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion sur la force, car tout pouvoir est force et nul n’est absent des questions de pouvoir, qu’il en dispose ou qu’il en porte le poids, le poids des décisions des autres, des puissants.
Le témoignage des évangélistes nous parle-t-il de la force ? La réponse est oui, et plusieurs fois dans les Évangiles on signale que de Jésus se dégageait une force particulière. Nous lisons dans l’Évangile selon saint Luc : « Toute la foule cherchait à toucher Jésus, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. » (Lc 6, 19) L’affaire est claire : une énergie émanait de Jésus. Il en était conscient, comme nous l’apprenons lorsque la femme qui perdait du sang toucha le manteau du Seigneur et que celui-ci regardait tout autour de lui pour voir qui avait eu ce geste (Mc 5, 30-32). Il était pourtant au milieu d’une foule qui le bousculait de toute part. Saint Matthieu nous éclaire davantage encore. Jésus a dit lors de son Discours sur la montagne : « Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés. » (Mt 5, 5) Qui peut entendre une telle affirmation sans se révolter ? Quel homme, quelle femme de cœur et qui se respecte ne se dresserait pour interpeller le rabbi : « de quel droit oses-tu avancer une telle parole ? » Et pourtant, alors qu’en d’autres occasions des disciples quittaient Jésus à cause de ses enseignements jugés irrecevables (Jn 5, 60-66), « imbuvables » dirait-on aujourd’hui, ici, sur la montagne, personne ne s’est levé pour protester. Au contraire, Matthieu conclut ce passage en écrivant : « Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient frappées de son enseignement : car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes. » (Mt 7, 28-29)
De quelle autorité s’agit-il ? Non pas d’une force violente qui écrase, qui considère que les autres et leurs intérêts passent après le but à atteindre. Le violent ne respecte pas les personnes. Au contraire, l’autorité de Jésus augmente leur force de vie. Elle guérit sans discrimination. Elle demande la confiance, et celle-ci une fois donnée, elle sauve. C’est cette force-là qu’il faut transmettre et démultiplier. Et comment donc ?
D’abord en la puisant à la source : dans le recueillement et la prière [1] . Jésus passait de longues nuits à prier Dieu (Lc 6, 12). Dans les sacrements surtout, où nous est donné dans le creux du quotidien, le supplément de Vie plus nécessaire encore, au cœur de notre être, que le pain de chaque jour (Mt 4, 4. Jn 10, 10).
Ensuite, partager la Vie et la répandre. D’abord en priant pour les autres et en les abordant avec une parole de bénédiction, qui les conforte dans l’existence. Avec humilité : « Ce trésor de la présence de Dieu, nous le portons en des vases d’argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous. » (2 Co 4, 7) Avec courage aussi, en luttant contre toute injustice, surtout celle qui est à notre portée et dont quelquefois même nous profitons. N’hésitons pas à lire et à relire l’encyclique Laudato si’. [2]
La force est une énergie. Elle fait partie de la création. Elle doit être orientée pour devenir pouvoir. Pouvoir afin de servir et non de se servir aux dépens des autres. Jésus n’était pas un mou. Si le sel s’affadit on le piétine (cfr Mt 5, 13).
Daniel Sonveaux s. J.
Assistant national
[1] Découvrez, par exemple, ce rendez-vous de prière excellent et universel qu’offre le Réseau Mondial de Prière du Pape François : https://www.prieraucoeurdumonde.net
[2] Spécialement les numéros 102 et suivants. Texte complet accessible en cliquant sur http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html (Site web du Vatican). Pour une édition présentée et commentée : https://www.editionsjesuites.com/fr/livre-loue-sois-tu-laudato-si-2121.html