MAGIS - une interpellation pour aujourd’hui
Homélie de Vincent Klein sj. pour la fête de Saint Ignace, dimanche 31 juillet 2005

magis, écrit en phonétique, tel est le nom bizarre du projet que les jésuites et le réseau ignatien international nous proposent cette année comme journées de préparation aux Journées Mondiales de la Jeunesse. Comment prononcer ce mot ? S’agit-il d’une marque de condiments, d’un nouveau produit de beauté ou d’une nouvelle stratégie de marketing au sigle des bons pères ?

« Magis » en latin signifie en fait « davantage ». C’est un terme important dans la spiritualité ignatienne. Mais il n’est pas sans ambiguïté. Serait-ce le signe que les jésuites se croient au-dessus de la masse, prétendent-ils qu’ils font toujours mieux que les autres ? N’est-ce pas la preuve d’une spiritualité élitiste ? D’ailleurs, des éléments de la vie de St Ignace avant et juste après sa conversion donnent raison à cette interprétation. Ignace chevalier voulait faire plus que les autres pour montrer sa bravoure militaire et conquérir le cœur d’une dame de très haut rang. Et Ignace converti voulait faire des exploits encore plus grands dans l’ascèse que Saint François ou Saint Dominique.

Mais tous ces rêves se brisent à Manrèse, près de Barcelone, sur les rochers de ses excès. Retiré dans la solitude, il ne sait plus du tout où il va, il est même tenté par le suicide. La libération surviendra lors de la découverte d’un Dieu libérateur, infiniment proche, comme nous le rappelait la première lecture : « Cette loi, elle n’est pas dans les cieux (...) ou au-delà des mers (...), mais elle est dans ta bouche et dans ton cœur afin que tu la mettes en pratique » (Dt 30, 11-14).

Dès lors, le « magis » ignatien n’est plus un superlatif ni même un comparatif , il ne s’agit pas d’être le meilleur ou meilleur que..., mais de choisir ce qui est « davantage pour la gloire de Dieu et pour le service des âmes » (Récit 85, 2). La personne qui vit de l’intimité du Christ, qui « connaît l’amour du Christ qui surpasse tout ce qu’on peut connaître », comme nous dit la deuxième lecture (Eph 3, 14-21), est appelée à choisir à la lumière du Christ entre plusieurs bonnes alternatives, par exemple entre le mariage et la vie consacrée. Si Dieu est « si riche en gloire, s’il donne la puissance pour rendre fort l’homme intérieur » comme nous le dit encore la lettre aux Ephésiens, alors nos choix seront bons s’ils sont éclairés par lui, car Il nous conduit toujours au bonheur. Le « magis » ignatien nous conduit à la fin pour laquelle nous sommes créés , à savoir « louer, servir et aimer Dieu notre Seigneur » (Ex. Sp. 23), source de vie et de bonheur, comme nous le dit le principe et fondement des Exercices Spirituels. Il implique donc l’expérience et une perception discernante.

Ainsi la spiritualité ignatienne est-elle vraiment une spiritualité concrète, incarnée. Elle suppose des expériences de rencontre, de prière, de travail et de les relire à la lumière du Christ, pour davantage le connaître, savoir comment il nous conduit afin de toujours « désirer et choisir ce qui nous conduit davantage... » au but de ma vie. La relecture nous permet de vivre le quotidien non pas comme une simple succession d’événements factuels, mais comme un chemin, un itinéraire, un pèlerinage. Marcher avec le Christ pauvre et humble sur les routes de la vie. Nous passons de la découverte à la suite du Christ pour demeurer avec lui, comme le résume bien l’évangile de l’appel des premiers disciples que nous avons entendu : « Que cherchez-vous ? », « Maître, où demeures-tu ? » « Venez, et vous verrez » ... Ils l’accompagnèrent, ils virent où il demeurait et ils restèrent auprès de lui ce jour-là (Jn 1, 35-39).

« Ce jour-là »... Saint Ignace nous invite à vivre l’aujourd’hui, le davantage, dans la confiance, à mettre à jour notre désir de vivre en relation avec les autres et le Christ. Il s’agit pourtant toujours d’un itinéraire. Le retraitant qui fait les Exercices Spirituels est invité à la conversion, à sortir de soi pour entrer en relation avec les autres à la lumière du Christ et des Evangiles qu’il va contempler. Il cherche où le Christ l’appelle, il cherche à purifier son désir pour le suivre et l’aimer davantage. Le novice qui entre dans la Compagnie de Jésus est appelé à faire des « expériments », c’est-à-dire à vivre des situations d’une durée bien définie, afin de percevoir comment il découvre le Seigneur agissant dans la rencontre des autres, dans la connaissance de soi et du Christ. Il est appelé à vaincre ses résistances, à franchir des caps et aller à la rencontre de réalités qu’il ne connaît souvent pas encore. En plus de la retraite de 30 jours en silence, il y a souvent des expériments en hôpital, auprès de mourants ou de personnes handicapées, avec des marginaux, du travail en usine ou dans des plantations de canne à sucre ou de rizières dans d’autres pays. L’expériment de pèlerinage invite les novices à compter sur la Providence, en marchant pendant des semaines en mendiant gîte et souvent aussi le couvert. Ces expériments sont autant d’occasions de découvrir Dieu là où parfois on ne l’attendait pas.

Nous accueillerons dans une semaine à Luxembourg plus de 200 jeunes, venant d’Espagne, de Pologne, de France, mais aussi du Portugal, de Taiwan, de Belgique et même du Japon, pour vivre le projet « magis » comme un expériment. Un bon nombre d’entre nous y est engagé. J’aimerais en conclusion leur adresser quelques paroles. Que faisons-nous au juste ? Comme dans 10 autres centres d’accueil en Allemagne, mais aussi à Liège et à Strasbourg, certains d’entre nous accompagneront des groupes d’une bonne vingtaine de jeunes autour de Schengen, lieu symbolique pour l’Europe d’aujourd’hui, mais aussi dans les friches industrielles de la Minette, auprès des réfugiés, des personnes âgées et handicapées, sur la route d’Echternach avec St Willibrord, où dans les belles collines et forêts de l’Ösling. Certains se sont engagés pour préparer un repas ou aider à la logistique. Un petit comité travaille depuis deux ans à l’organisation de ces expériments à Luxembourg. Quel sens cela a-t-il, si ce n’est d’offrir la possibilité à ces jeunes de faire l’expérience de Dieu dans la rencontre, la prière, la découverte du pays et de différentes réalités sociales ou écologiques, du Christ vivant et agissant dans leur vie, afin qu’eux aussi puissent davantage l’aimer et le suivre ? A nous qui faisons ce travail humble et caché comme les serviteurs de l’Evangile et qui nous demandons parfois si tous ces efforts matériels en valent la peine, n’oublions pas l’essentiel, faisons confiance au Seigneur qui travaille dans les cœurs, laissons-nous surprendre par le Christ à travers ces jeunes, apprenons à vivre de la joie dont ils rayonneront. AMEN.

Vincent KLEIN sj
1er août 2005
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